Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/417

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mais communs à toute la tribu. De plus, c’était à eux que l’on attribuait ce qu’il y avait de plus estimé dans la civilisation tribale. Pour cette double raison, ils devinrent l’objet d’une considération toute particulière. On dit, par exemple, d’Atnatu qu’il est né au ciel, à une époque antérieure même aux temps de l’Alcheringa, qu’il s’est fait lui-même et s’est lui-même donné le nom qu’il porte. Les étoiles sont ses femmes ou ses filles. Au-delà du ciel où il vit, il y en a un autre avec un autre Soleil. Son nom est sacré, et ne doit jamais être prononcé devant les femmes ou les non-initiés[1].

Cependant, quel que soit le prestige dont jouissent ces personnages, il n’y avait pas lieu d’instituer en leur honneur des rites particuliers ; car ils ne sont eux-mêmes que des rites personnifiés. Ils n’ont d’autre raison d’être que d’expliquer des pratiques existantes ; ils n’en sont qu’un autre aspect. Le churinga ne fait qu’un avec l’ancêtre qui l’inventa ; l’un et l’autre portent parfois le même nom[2]. Quand on fait résonner le bull-roarer, on dit que c’est la voix de l’ancêtre qui se fait entendre[3]. Mais, précisément parce que chacun de ces héros se confond avec le culte qu’il passe pour avoir institué, on croit qu’il est attentif à la manière dont il est célébré. Il n’est satisfait que si les fidèles s’acquittent exactement de leurs devoirs ; il punit ceux qui sont négligents[4]. Il est donc regardé comme le gardien du rite en même temps qu’il en est le fondateur, et, pour cette raison, il se trouve investi d’un véritable rôle moral[5].

  1. North. Tr., p. 499.
  2. Howitt, Nat. Tr., p. 493 ; Kamilaroi and Kurnai, p. 197 et 267 ; Spencer et Gillen, North. Tr., p. 492.
  3. V. par exemple, North. Tr., p. 499.
  4. North. Tr., p. 338, 347, 499.
  5. Spencer et Gillen, il est vrai, soutiennent que ces êtres mythiques ne jouent aucun rôle moral (North. Tr., p. 493) ; mais c’est qu’ils donnent au mot un sens plus étroit. Les devoirs religieux sont des devoirs : le fait de veiller à la manière dont ils sont observés intéresse donc la morale, d’autant plus que, à ce moment, la morale tout entière a un caractère religieux.