Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/456

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religieux[1] qui est attribué à la douleur dès les sociétés inférieures. Il cite le cas des Arapaho qui, pour s’immuniser contre les dangers des batailles, s’infligent de véritables supplices ; des Indiens Gros-Ventre, qui, à la veille des expéditions militaires, se soumettent à de véritables tortures ; des Hupa qui, pour assurer le succès de leurs entreprises, nagent dans des rivières glacées et restent ensuite, le plus longtemps possible, étendus sur le rivage ; des Karaya qui, pour affermir leurs muscles, se tirent de temps en temps du sang des bras et des jambes au moyen de grattoirs formés avec des dents de poissons ; des gens de Dallmannhafen (Terre de l’Empereur Guillaume en Nouvelle-Guinée) qui combattent la stérilité de leurs femmes en leur pratiquant des incisions sanglantes dans la partie supérieure de la cuisse[2].

Mais on trouve des faits analogues sans sortir d’Australie, notamment au cours des cérémonies d’initiation. Beaucoup des rites qui sont pratiqués à cette occasion consistent précisément à infliger systématiquement au néophyte des souffrances déterminées, en vue de modifier son état et de lui faire acquérir les qualités caractéristiques de l’homme. Ainsi, chez les Larakia, tandis que les jeunes gens sont en retraite dans la forêt, leurs parrains et surveillants leur assènent à chaque instant des coups violents, sans avertis-

  1. Preuss, il est vrai, interprète ces faits en disant que la douleur est un moyen d’accroître la force magique de l’homme (die menschliche Zauberkraft) ; on pourrait croire, d’après cette expression, que la souffrance est un rite magique, et non religieux. Mais, comme nous l’avons déjà dit, Preuss appelle magiques, sans beaucoup de précision, toutes les forces anonymes et impersonnelles, qu’elles ressortissent à la magie ou à la religion. Sans doute, il y a des tortures qui servent à faire des magiciens ; mais beaucoup de celles qu’il nous décrit font partie de cérémonies proprement religieuses et, par conséquent, c’est l’état religieux des individus qu’elles ont pour objet de modifier.
  2. Preuss, Der Ursprung der Religion und der Kunst, Globus, LXXXVII, p. 309-400. Preuss classe sous la même rubrique un grand nombre de rites disparates, par exemple des effusions de sang qui agissent en raison des qualités positives attribuées au sang, et non à cause des souffrances qu’elles impliquent. Nous ne retenons que les faits où la douleur est l’élément essentiel du rite et la cause de son efficacité.