Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/464

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de l’autre et de faire, en quelque sorte, le vide entre eux.

Ce qui oblige à ces précautions, c’est l’extraordinaire contagiosité du caractère sacré. Loin de rester attaché aux choses qui en sont marquées, il est doué d’une sorte de fugacité. Le contact même le plus superficiel ou le plus médiat suffit pour qu’il s’étende d’un objet à l’autre. Les forces religieuses sont représentées aux esprits de telle sorte qu’elles semblent toujours prêtes à s’échapper des points où elles résident pour envahir tout ce qui passe à leur portée. L’arbre nanja où habite l’esprit d’un ancêtre est sacré pour l’individu qui se considère comme la réincarnation de cet ancêtre. Mais tout oiseau qui vient se poser sur cet arbre participe du même caractère : il est également interdit d’y toucher[1]. Nous avons eu déjà l’occasion de montrer comment le simple contact d’un churinga suffit à sanctifier gens et choses[2] ; c’est, d’ailleurs, sur ce principe de la contagiosité du sacré que reposent tous les rites de consécration. La sainteté des churinga est même telle qu’elle fait sentir son action à distance. On se rappelle comment elle s’étend non seulement à la cavité où ils sont conservés, mais à toute la région avoisinante, aux animaux qui s’y réfugient et qu’il est défendu de tuer, aux plantes qui y poussent et auxquelles on ne doit pas toucher[3]. Un totem du serpent a son centre en un lieu où se trouve un trou d’eau. Le caractère sacré du totem se communique à l’endroit, au trou d’eau, à l’eau elle-même qui est interdite à tous les membres du groupe totémique[4]. L’initié vit dans une atmosphère toute chargée de religiosité et il en est lui-même comme imprégné[5]. Par suite, tout ce

  1. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 133.
  2. V. plus haut, p. 170.
  3. Spencer et Gillen, Nat. Tr.,p. 134-135 ; Strehlow, II, p. 78.
  4. Spencer et Gillen, Nat. Tr., p. 167, 299.
  5. En dehors des rites ascétiques dont nous avons parlé, il en est de positifs qui ont pour objet de charger, ou, comme dit Howitt, de saturer l’initié de religiosité (Howitt, Nat. Tr., p. 535). Howitt, il est vrai, au lieu de religiosité, parle de pouvoirs magiques ; mais on sait que pour la plupart des ethnographes, ce mot signifie simplement vertus religieuses de nature impersonnelle.