Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/467

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C’est pourquoi la maladie ou la mort sont considérées comme les conséquences naturelles de toute transgression de ce genre ; et ce sont des conséquences qui passent pour se produire d’elles-mêmes, avec une sorte de nécessité physique. Le coupable se sent envahi par une force qui le domine et contre laquelle il est impuissant. A-t-il mangé de l’animal totémique ? Il le sent pénétrer en lui et lui ronger les entrailles ; il se couche par terre et attend la mort[1]. Toute profanation implique une consécration, mais qui est redoutable au sujet consacré et à ceux mêmes qui l’approchent. Ce sont les suites de cette consécration qui sanctionnant en partie l’interdit[2].

On remarquera que cette explication des interdits ne dépend pas des symboles variables à l’aide desquels peuvent être conçues les forces religieuses. Peu importe qu’elles soient représentées sous la forme d’énergies anonymes et impersonnelles, ou figurées par des personnalités douées de conscience et de sentiment. Sans doute, dans le premier cas, elles sont censées réagir contre les transgressions profanatrices d’une manière automatique et inconsciente, tandis que, dans le second, elles passent pour obéir à des mouvements passionnels, déterminés par l’offense ressentie. Mais au fond, ces deux conceptions, qui d’ailleurs, ont les mêmes effets pratiques, ne font, qu’exprimer en deux langues différentes un seul et même mécanisme psychique. Ce qui est à la base de l’une et de l’autre, c’est l’antagonisme du sacré et du profane, combiné avec la remarquable aptitude du premier à contagionner le second ; or, cet antagonisme et cette contagiosité agissent de même façon, que le caractère sacré soit attribué à des forces

  1. V. les références plus haut, p. 182, n. 1. Cf. Spencer et Gillen, North Tr., p. 323, 324 ; Nat. Tr., p. 168 ; Taplin, The Narrinyeri, p. 16 ; Roth, North Queensland Ethnography, Bull. 10, in Records of the Australian Museum, VII, p. 76.
  2. Nous rappelons que, quand l’interdit violé est religieux, ces sanctions ne sont pas les seules ; il y a, en outre, ou une peine proprement dite ou une flétrissure de l’opinion.