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aveugles ou à des consciences. Ainsi, bien loin que la vie proprement religieuse ne commence que là où il existe des personnalités mythiques, on voit que, dans ce cas, le rite reste le même, que les êtres religieux soient ou non personnifiés. C’est une constatation que nous aurons à répéter dans chacun des chapitres qui vont suivre.

IV

Mais si la contagiosité du sacré contribue à expliquer le système des interdits, comment s’explique-t-elle elle-même ?

On a cru pouvoir en rendre compte par les lois, bien connues, de l’association des idées. Les sentiments que nous inspire une personne ou une chose s’étendent contagieusement de l’idée de cette chose ou de cette personne aux représentations qui y sont associées et, par suite, aux objets que ces représentations expriment. Le respect que nous avons pour un être sacré se communique donc à tout ce qui touche à cet être, à tout ce qui lui ressemble et le rappelle. Sans doute, l’homme cultivé n’est pas dupe de ces associations ; il sait que ces émotions dérivées sont dues à de simples jeux d’images, à des combinaisons toutes mentales et il ne s’abandonne pas aux superstitions que ces illusions, tendent à déterminer. Mais, dit-on, le primitif objective naïvement ses impressions sans les critiquer. Une chose lui inspire-t-elle une crainte révérencielle ? Il en conclut qu’une force auguste et redoutable y réside réellement ; il se tient donc à distance de cette chose et la traite comme si elle était sacrée, alors même qu’elle n’a aucun droit à ce titre[1].

  1. V. Jevons, Introduction to the History of Religion, p. 67-68. Nous ne dirons rien de la théorie, d’ailleurs peu explicite, de Crawley (Mystic Rose, chap. IV-VII) d’après laquelle la contagiosité des tabous serait due à une interprétation erronée de certains phénomènes de contage. Elle est arbitraire. Comme Jevons en fait très justement la remarque dans le passage auquel nous renvoyons, le caractère contagieux du sacré est affirmé a priori, et non sur la foi d’expériences mal interprétées.