Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/473

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les règnes et identifie les choses les plus hétérogènes, hommes, animaux, plantes, astres, etc. Nous apercevons maintenant une des causes qui ont le plus contribué à faciliter ces confusions. Parce que les forces religieuses sont éminemment contagieuses, il arrive sans cesse qu’un même principe se trouve animer également les choses les plus différentes : il passe des unes dans les autres par suite soit d’un simple rapprochement matériel soit de similitudes mêmes superficielles. C’est ainsi que des hommes, des animaux, des plantes, des roches sont censés participer du même totem : les hommes, parce qu’ils portent le nom de l’animal ; les animaux, parce qu’ils rappellent l’emblème totémique ; les plantes, parce qu’elles servent à nourrir ces animaux ; les rochers, parce qu’ils garnissent le lieu où se célèbrent les cérémonies. Or, les forces religieuses sont alors considérées comme la source de toute efficacité ; des êtres qui avaient un même principe religieux devaient donc passer pour avoir la même essence et pour ne différer les uns des autres que par des caractères secondaires. C’est pourquoi il parut tout naturel de les ranger dans une même catégorie et de ne voir en eux que des variétés d’un même genre, transmutables les unes dans les autres.

Ce rapport établi fait apparaître sous un nouvel aspect les phénomènes de contagion. Pris en eux-mêmes, ils semblent être étrangers à la vie logique. N’ont-ils pas pour effet de mêler et de confondre les êtres, en dépit de leurs différences naturelles ? Mais nous avons vu que ces confusions et ces participations ont joué un rôle logique et d’une haute utilité : elles ont servi à relier les choses que la sensation laisse en dehors les unes des autres. Il s’en faut donc que la contagion, source de ces rapprochements et de ces mélanges, soit marquée de cette espèce d’irrationalité fondamentale qu’on est tout d’abord porté à lui attribuer. Elle a ouvert la voie aux explications scientifiques de l’avenir.