Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/529

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minante qui est caractéristique de ce qu’on appelle un pouvoir ou une force. Ils n’atteignent que des états réalisés, acquis, extérieurs les uns aux autres ; mais le processus interne qui relie ces états leur échappe. Rien de ce qu’ils nous apprennent ne saurait nous suggérer l’idée de ce qu’est une influence ou une efficacité. C’est précisément pour cette raison que les philosophes de l’empirisme ont vu dans ces différentes conceptions autant d’aberrations mythologiques. Mais à supposer même qu’il n’y ait en tout ceci que des hallucinations, encore faut-il dire comment elles sont nées.

Si l’expérience externe n’est pour rien dans la genèse de ces idées, comme, d’autre part, il est inadmissible qu’elles nous soient données toutes faites, on doit supposer qu’elles nous viennent de l’expérience intérieure. En fait, la notion de force est manifestement grosse d’éléments spirituels qui ne peuvent avoir été empruntés qu’à notre vie psychique.

On a cru souvent que l’acte par lequel notre volonté clôt une délibération contient nos penchants, commande à nos organes, avait pu servir de modèle à cette construction. Dans la volition, a-t-on dit, nous nous saisissons directement comme un pouvoir en acte. Une fois donc que l’homme eut cette idée, il n’eut, semble-t-il, qu’à l’étendre aux choses pour que le concept de force fût constitué.

Tant que la théorie animiste passait pour une vérité démontrée, cette explication pouvait paraître confirmée par l’histoire. Si les forces dont la pensée humaine a primitivement peuplé le monde avaient réellement été des esprits, c’est-à-dire des êtres personnels et conscients, plus ou moins semblables à l’homme, on pourrait croire, en effet, que notre expérience individuelle a suffi à nous fournir les éléments constitutifs de la notion de force. Mais nous savons que les premières forces qu’ont imaginées les hommes sont, au contraire, des puissances anonymes, vagues, diffuses, qui ressemblent par leur impersonnalité