Page:Durkheim - Les Formes élémentaires de la vie religieuse.djvu/568

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retirent et appliquent leurs lèvres sur ses blessures béantes, tandis qu’il gît inanimé sur le sol. » Le malade ne mourut que tard dans la soirée. Aussitôt qu’il eut rendu le dernier soupir, la même scène recommença à nouveaux frais. Seulement, cette fois, les gémissements étaient encore plus perçants. Hommes et femmes, saisis par une véritable frénésie, couraient, s’agitaient, se faisaient des blessures avec des couteaux, avec des bâtons pointus ; les femmes se frappaient les unes les autres sans qu’aucune cherchât à se garantir des coups. Enfin, au bout d’une heure, une procession se déroula, à la lueur des torches, à travers la plaine, jusqu’à l’arbre dans les branches duquel le corps fut déposé[1].

Quelle que soit la violence de ces manifestations, elles sont étroitement réglées par l’étiquette. Les individus qui se font des incisions sanglantes sont désignés par l’usage : ils doivent soutenir avec le mort des rapports de parenté déterminés. Ainsi, chez les Warramunga, dans le cas observé par Spencer et Gillen, ceux qui se tailladaient les cuisses étaient le grand-père maternel du défunt, son oncle maternel, l’oncle maternel et le frère de sa femme[2]. D’autres sont tenus de se couper les favoris et les cheveux et de se couvrir ensuite le cuir chevelu de terre de pipe. Les femmes ont des obligations particulièrement sévères. Elles doivent se couper les cheveux, s’enduire de terre de pipe le corps tout entier ; de plus, un silence absolu leur est imposé pendant tout le temps du deuil qui peut durer jusqu’à deux ans. Par suite de cette interdiction, il n’est pas rare que, chez les Warrarnunga, toutes les femmes d’un campement soient condamnées au silence le plus complet. Elles en prennent si bien l’habitude que, même après l’expiration de la période de deuil, elles renoncent

  1. North Tr., p. 516-517.
  2. Ibid., p. 520-521. Les auteurs ne nous disent pas s’il s’agit de parents tribaux ou de parents de sang. La première hypothèse est la plus vraisemblable.