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volontairement au langage parlé et emploient de préférence le langage par gestes qu’elles manient, d’ailleurs, avec une remarquable habileté. Spencer et Gillen ont connu une vieille femme qui était restée sans parler pendant plus de vingt-quatre ans[1].

La cérémonie que nous avons décrite ouvre une longue série de rites qui se succèdent pendant des semaines et des mois. On la renouvelle les jours suivants, sous des formes diverses. Des groupes d’hommes et de femmes se tiennent assis par terre, pleurant, se lamentant, s’embrassant à des moments déterminés. Ces embrassements rituels se répètent fréquemment pendant la durée du deuil. Les individus éprouvent, semble-t-il, le besoin de se rapprocher et de communier plus étroitement ; on les voit serrés les uns contre les autres et entrelacés au point de former une seule et même masse d’où s’échappent de bruyants gémissements[2]. Entre temps, les femmes recommencent à se lacérer la tête, et, pour exaspérer les blessures qu’elles se font, elles vont jusqu’à y appliquer des pointes de bâtons rougies au feux[3].

Ces sortes de pratiques sont générales dans toute l’Australie. Les rites funéraires, c’est-à-dire les soins rituels donnés au cadavre, la manière dont il est enseveli, etc., changent avec les tribus[4] et, dans une même tribu,

  1. North Tr., p. 525-526. Cette interdiction de parler, spéciale aux femmes, bien qu’elle consiste en une simple abstention, a tout l’air d’un rite paculaire : c’est une manière de se gêner. C’est pourquoi nous le mentionnons ici. Le jeûne également peut, selon les circonstances, consister un rite piaculaire ou un rite ascétique. Tout dépend des conditions dans lesquelles il a lieu et du but poursuivi (v. sur la différence entre ces deux sortes de rites, plus bas, p. 567).
  2. On trouvera dans North Tr., p. 525, une gravure très expressive où ce rite est représenté.
  3. Ibid. p. 522.
  4. V. sur les principales sortes de rites funéraires, Howitt, Nat. Tr., p. 446-508, pour les tribus du Sud-Est : Spencer et Gillen, North. Tr., p. 505 et Nat. Tr., p. 497 et suiv. pour les tribus du centre ; Roth, North Queensland ethnog. Bull. n° 9, in Records of the Australian Museum, VI, n° 5, p. 365 et suiv. (Burial Ceremonies and Disposal of the Dead).