Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/135

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résidu assez indéterminé. Cette indétermination croît naturellement d’autant plus que la complexité des caractères est plus grande ; car plus une chose est complexe, plus les parties qui la composent peuvent former de combinaisons différentes. Il en résulte que le type spécifique, au delà des caractères les plus généraux et les plus simples, ne présente pas de contours aussi définis qu’en biologie[1].

  1. En rédigeant ce chapitre pour la première édition de cet ouvrage, nous n’avons rien dit de la méthode qui consiste à classer les sociétés d’après leur état de civilisation. À ce moment, en effet, il n’existait pas de classifications de ce genre qui fussent proposées par des sociologues autorisés, sauf peut-être celle, trop évidemment archaïque, de Comte. Depuis, plusieurs essais ont été faits dans ce sens, notamment par Vierkandt (Die Kulturtypen der Menschheit, in Archiv. f. Anthropologie, 1898), par Sutherland (The Origin and Growth of the Moral Instinct), et par Steinmetz (Classification des types sociaux in Année sociologique, III, p. 43-147). Néanmoins, nous ne nous arrêterons pas à les discuter, car ils ne répondent pas au problème posé dans ce chapitre. On y trouve classées, non des espèces sociales, mais, ce qui est bien différent, des phases historiques. La France, depuis ses origines, a passé par des formes de civilisation très différentes ; elle a commencé par être agricole, pour passer ensuite à l’industrie des métiers et au petit commerce, puis à la manufacture et enfin à la grande industrie. Or il est impossible d’admettre qu’une même individualité collective puisse changer d’espèce trois ou quatre fois. Une espèce doit se définir par des caractères plus constants. L’état économique, technologique, etc., présente des phénomènes trop instables et trop complexes pour fournir la base d’une classification. Il est même très possible qu’une même civilisation industrielle, scientifique, artistique puisse se rencontrer dans des sociétés dont la constitution congénitale est très différente. Le Japon pourra nous emprunter nos arts, notre industrie, même notre organisation politique ; il ne laissera pas d’appartenir à une autre espèce sociale que la France et l’Allemagne. Ajoutons que ces tentatives, quoique conduites par des sociologues de valeur, n’ont donné que des résultats vagues, contestables et de peu d’utilité.