Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/157

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êtres de même sang éprouvent l’un pour l’autre[1], et cet ensemble touffu de règles juridiques et morales qui déterminent la structure de la famille, les rapports des personnes entre elles, des choses avec les personnes, etc. ! Nous avons vu que, même quand la société se réduit à une foule inorganisée, les sentiments collectifs qui s’y forment peuvent, non seulement ne pas ressembler, mais être opposés à la moyenne des sentiments individuels. Combien l’écart doit-il être plus considérable encore quand la pression que subit l’individu est celle d’une société régulière, où, à l’action des contemporains, s’ajoute celle des générations antérieures et de la tradition ! Une explication purement psychologique des faits sociaux ne peut donc manquer de laisser échapper tout ce qu’ils ont de spécifique, c’est-à-dire de social.

Ce qui a masqué aux yeux de tant de sociologues l’insuffisance de cette méthode, c’est que, prenant l’effet pour la cause, il leur est arrivé très souvent d’assigner comme conditions déterminantes aux phénomènes sociaux certains états psychiques, relativement définis et spéciaux, mais qui, en fait, en sont la conséquence. C’est ainsi qu’on a considéré comme inné à l’homme un certain sentiment de religiosité, un certain minimum de jalousie sexuelle, de piété filiale, d’amour paternel, etc., et c’est par là que l’on a voulu expliquer la religion, le mariage, la famille. Mais l’histoire montre que ces inclinations, loin d’être inhérentes à la nature humaine, ou bien font totalement défaut dans certaines circonstances socia-

  1. Si tant est qu’elle existe avant toute vie sociale. V. sur ce point Espinas, Sociétés animales, 474.