Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/177

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que la société a sur lui n’est pas simplement physique, mais intellectuelle et morale, elle n’a rien à craindre du libre examen, pourvu qu’il en soit fait un juste emploi. La réflexion, en faisant comprendre à l’homme combien l’être social est plus riche, plus complexe et plus durable que l’être individuel, ne peut que lui révéler les raisons intelligibles de la subordination qui est exigée de lui et des sentiments d’attachement et de respect que l’habitude a fixés dans son cœur[1].

Il n’y a donc qu’une critique singulièrement superficielle qui pourrait reprocher à notre conception de la contrainte sociale de rééditer les théories de Hobbes et de Machiavel. Mais si, contrairement à ces philosophes, nous disons que la vie sociale est naturelle, ce n’est pas que nous en trouvions la source dans la nature de l’individu ; c’est qu’elle dérive directement de l’être collectif qui est, par lui-même, une nature sui generis ; c’est qu’elle résulte de cette élaboration spéciale à laquelle sont soumises les consciences particulières par le fait de leur association et d’où se dégage une nouvelle forme d’existence[2]. Si donc

  1. Voilà pourquoi toute contrainte n’est pas normale. Celle-là seulement mérite ce nom qui correspond à quelque supériorité sociale, c’est-à-dire intellectuelle ou morale. Mais celle qu’un individu exerce sur l’autre parce qu’il est plus fort ou plus riche, surtout si cette richesse n’exprime pas sa valeur sociale, est anormale et ne peut se maintenir que par la violence.
  2. Notre théorie est même plus contraire à celle de Hobbes que celle du droit naturel. En effet, pour les partisans de cette dernière doctrine, la vie collective n’est naturelle que dans la mesure où elle peut être déduite de la nature individuelle. Or, seules les formes les plus générales de l’organisation sociale peuvent, à la rigueur, être dérivées de cette origine. Quant au