Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/73

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qu’il existe quelque part un ensemble de phénomènes qui sont réunis sous une même appellation et qui, par conséquent, doivent vraisemblablement avoir des caractères communs ; même, comme il n’est jamais sans avoir eu quelque contact avec les phénomènes, il nous indique parfois, mais en gros, dans quelle direction ils doivent être recherchés. Mais, comme il est grossièrement formé, il est tout naturel qu’il ne coïncide pas exactement avec le concept scientifique institué à son occasion[1].

Si évidente et si importante que soit cette règle, elle n’est guère observée en sociologie. Précisément parce qu’il y est traité de choses dont nous parlons sans cesse, comme la famille, la propriété, le crime, etc., il paraît le plus souvent inutile au sociologue d’en donner une définition préalable et rigoureuse. Nous sommes tellement habitués à nous servir de ces mots, qui reviennent à tout instant dans le cours des conversations, qu’il semble inutile de préciser le sens dans lequel nous les prenons. On s’en réfère simplement à la notion commune. Or celle-ci est très souvent ambiguë. Cette ambiguïté fait qu’on réunit sous un même nom et dans une même expli-

  1. Dans la pratique, c’est toujours du concept vulgaire et du mot vulgaire que l’on part. On cherche si, parmi les choses que connote confusément ce mot, il en est qui présentent des caractères extérieurs communs. S’il y en a et si le concept formé par le groupement des faits ainsi rapprochés coïncide, sinon totalement (ce qui est rare), du moins en majeure partie, avec le concept vulgaire, on pourra continuer à désigner le premier par le même mot que le second et garder dans la science l’expression usitée dans la langue courante. Mais si l’écart est trop considérable, si la notion commune confond une pluralité de notions distinctes, la création de termes nouveaux et spéciaux s’impose.