Page:Durkheim - Les Règles de la méthode sociologique.djvu/78

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de nos Codes modernes, remplissent, au contraire, presque tout le droit pénal des sociétés antérieures.

C’est la même faute de méthode qui fait que certains observateurs refusent aux sauvages toute espèce de moralité[1]. Ils partent de cette idée que notre morale est la morale ; or il est évident qu’elle est inconnue des peuples primitifs ou qu’elle n’y existe qu’à l’état rudimentaire. Mais cette définition est arbitraire. Appliquons notre règle et tout change. Pour décider si un précepte est moral ou non, nous devons examiner s’il présente ou non le signe extérieur de la moralité ; ce signe consiste dans une sanction répressive diffuse, c’est-à-dire dans un blâme de l’opinion publique qui venge toute violation du précepte. Toutes les fois que nous sommes en présence d’un fait qui présente ce caractère, nous n’avons pas le droit de lui dénier la qualification de moral ; car c’est la preuve qu’il est de même nature que les autres faits moraux. Or, non seulement des règles de ce genre se rencontrent dans les sociétés inférieures, mais elles y sont plus nombreuses que chez les civilisés. Une multitude d’actes qui, actuellement, sont abandonnés à la libre appréciation des individus, sont alors imposés obligatoirement. On voit à quelles erreurs on est entraîné soit quand on ne définit pas, soit quand on définit mal.

Mais, dira-t-on, définir les phénomènes par leurs caractères apparents, n’est-ce pas attribuer aux propriétés superficielles une sorte de prépondérance sur

  1. V. Lubbock, Les Origines de la civilisation, ch. VIII. — Plus généralement encore, on dit, non moins faussement, que les religions anciennes sont amorales ou immorales. La vérité est qu’elles ont leur morale à elles.