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transformation heureuse qu’il sentait sourdre des profondeurs de son être.

L’inquiétude, la souffrance indéfinissable qui l’avaient torturé pendant les années de son adolescence faisaient peu à peu place à une mélancolie calme, douce, à un rêve continu.

Il ne lisait plus, se contentant de vivre… Il n’abandonnait pas sa résolution de devenir un jour le poète de la terre aimée, de refléter avec son âme plus sensitive de septentrional la tristesse, l’âpreté et la splendeur de l’Afrique.

Mais il se sentait incomplet encore, et voulait son œuvre parfaite… Et il regardait, avec des yeux d’amoureux, lentement, laissant les impressions s’accumuler tout naturellement, par petites couches ténues.

Et l’instinct inassouvi d’aimer voilait d’une tristesse non sans charme cette existence toute de silence et de rêverie.

Andreï avait fini son année de service, et il retourna, plein de la nostalgie du Sud, auprès de son père, juste à temps pour le voir tomber malade et mourir.

— Reste toujours sincère envers toi-même… Ne te plie pas à l’hypocrisie des conventions, continue à vivre parmi les pauvres et à les aimer.

Tel fut le testament moral que, dans une heure de lucidité que lui laissa la fièvre, lui laissa son père.