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veuve, ses deux sœurs et son petit frère frêle, comme il avait vécu et pensé jusqu’alors, il s’était soumis à la nécessité, simplement, sans entraînement, sans attirance pour ce pays, qu’il ignorait.

Cependant, depuis qu’il avait été désigné, il n’avait voulu rien lire, sans savoir de ce pays où il devait transporter sa vie silencieuse et calme, et son rêve triste et restreint, sans tentatives d’expression, jamais.

Il verrait, indépendant, seul, sans subir aucune influence…

Dès son arrivée, il avait dû écouter les avertissements de ses nouveaux camarades, qui le fêtaient et qu’il devinait ironiques protecteurs, dédaigneux de sa jeunesse inexpérimentée, soucieux surtout de leurs effets et de l’épater… Indifférent, il écouta leurs plaintes et leurs critiques : pas de société, rien à faire, un morne ennui. Un pays sans charme, les Algériens brutaux et uniquement préoccupés de gain, les indigènes répugnants, faux, sauvages, au-dessous de toute critique, ridicules…

Tout cela lui fut indifférent et il n’en acquit qu’une connaissance de ces mêmes camarades avec lesquels il devrait vivre…

Puis, un jour, brusquement, enfant des Alpes boisées et verdoyantes, des horizons bornés et nets, il était entré dans la grande plaine, vague et indéfiniment semblable, sans premiers plans, presque sans rien qui retint le regard.