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cercle étroit, se passaient les années actives de leur vie…

… Huit créatures pâlies, fanées, assises sur des banquettes de pierre, devant une sorte de cabaret … Des vêtements clairs, tachés, déchirés, salis, mais violemment parfumés. Des chairs flasques, couturées, usées à force d’être pétries par des mains brutales et avides, des cellules nues, sales et laides, aux vermineux matelas de laine, et, pour quelques sous, une étreinte souvent lasse, subie par nécessité, sans aucun écho, sans une vibration de chair amie… Des bouteilles de liquides violents, procurant une chaleur d’emprunt, une fausse joie qu’ils ne trouvaient pas en eux, tel était le coin de vie personnelle où se réfugiaient ces hommes qui, pour la sécurité du pain et de la paillasse, vendaient leur liberté, la dernière des libertés humaines : aller où l’on veut, choisir le fossé où l’on subira les affres de la faim, la morsure du froid…

Jacques, naïvement, crut compatir à leur souffrance, leur attribuant les sensations que lui donnait, à lui, leur vie… Il crut que leurs récriminations constantes contre leur sort étaient le résultat de la conscience de leur misérable situation… Puis il fut étonné et troublé de voir qu’ils ne souffraient pas de vivre ainsi… « Chien de métier », « Vie trois fois maudite ! » disaient-ils… « Encore tant de jours à tirer… » Ils comptaient les jours de misère… Puis, rendus à la liberté à la fin de leur « congé »,