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excitation dont il ne se dissimulait pas la nature, presque toute matérielle.

Puis, un soir, il errait, lentement et sans but, dans une ruelle des Achèche, dans le Nord d’El Oued, où toutes les maisons étaient en ruines et semblaient inhabitées. Il aimait ce coin de silence et d’abandon. Les habitants étaient morts sans laisser d’héritiers ou étaient partis au désert, à Ghadamès, à Bar-es-Sof ou plus loin… La nuit tombait et Jacques, assis sur une pierre, rêvait.

Soudain, il aperçut, dans l’une de ces ruines, une petite lumière falote… Une voix monta, cadencée, accompagnée d’un cliquetis de bracelets… Une voix de femme, qui, doucement, chantait… Cela semblait une incantation, tellement il y avait de mystérieuse tristesse dans le rythme de ce chant… Le vent éternel du Souf bruissait dans les décombres et, dans son souffle tiède, une senteur de benjoin glissa.

Le chant se tut et une femme parut sur le seuil d’une maison un peu moins caduque que les autres. Grande et mince sous sa mlahfa noire, elle s’accouda au mur, gracieuse. À la pâle lueur encore vaguement violacée, Jacques la vit. Un peu flétrie, comme lasse, elle était très belle, d’une beauté d’idole.

Elle le vit et tressaillit. Mais elle ne rentra pas… Longtemps, ils se regardèrent, et Jacques sentit un trouble indicible l’envahir.

— Arouah !… dit-elle, très bas. (Viens !)