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son ménage. Ou bien, elle chantait, et cette voix lente, lente, douce et un peu nasillarde était comme la cadence de son rêve, à lui.

Il venait là, tous les soirs, désertant l’ennuyeuse popote, et la demeure de cette prostituée arabe était devenue son foyer. Lui était-elle fidèle ? Il n’en doutait pas.

Dès le premier jour, elle avait accepté ce nouveau genre de vie, sans une surprise, sans une hésitation. Elle ne manquait de rien. Le soir, les soldats ivres ne venaient plus acheter son amour et le droit de la battre, de la faire souffrir, pour quelques sous. Embarka était heureuse.

Au quartier et au bureau arabe, Jacques constatait beaucoup de progrès. Plus de sombre méfiance dans les regards, plus de crainte mêlée de haine farouche. Et il croyait sincèrement avoir gagné tous ces hommes.

Il y avait bien un peu de négligence, chez eux, à son égard. Ils étaient moins empressés à le servir, moins dociles, désobéissant souvent à ses ordres, et l’avouant sans peur, car il ne voulait pas user du droit de punir.

Jacques était trop clairvoyant pour ne pas distinguer tout cela. Mais n’était-ce pas naturel ? Si ces hommes étaient soumis à ses camarades, jusqu’à l’abdication complète de toute volonté humaine, c’était la peur qui les y contraignait. On était plus empressé à le servir qu’à lui obéir, à lui… Mais on le faisait aussi à contre-cœur.