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L’appareil lugubre de la guillotine sanglante dans la clarté fuligineuse d’une aube mortuaire est moins inhumainement affreux, moins injuste, surtout, que le spectacle d’un bagne, le plus hideux qui soit.

La mort grandit, ennoblit tout ce qu’elle touche, car elle est l’absolution suprême… Mais cette géhenne où le corps seul survit, où l’âme est détruite, sciemment, férocement, cet enfer-là n’a pas de nom et pas d’excuse.

Quand les galeotti arrivent d’Italie, dans la cale des vaisseaux, une embarcation se détache du quai de Cagliari et va les prendre presque au large, montée par des carabinieri qui, sous leur uniforme noir, semblent venir là pour un enterrement… Et on les emmène, attachés le long d’une chaîne, les poignets serrés affreusement entre deux barres de fer à vis. Sous leur bras, ils portent leur maigre baluchon : quelques hardes sordides, quelques pauvres souvenirs du monde des vivants, peut-être pour se le rappeler, après, dans la cita dolente, pendant les années longues…

Vers l’ouest, la colline de Cagliari se termine brusquement par des fondrières profondes, par des falaises escarpées. Dans les rochers éboulés, retenus par de petites murailles frêles, des jardins s’enchevêtrent de pieds de vigne ; bien africains encore avec leurs haies de figuiers de Barbarie, leurs agaves aux hampes géantes poussées dans