Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/286

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mais ici, elle est parfaitement à sa place. On espère qu’il reproduira Faust tout entier, et j’attends surtout avec joie la cuisine des sorcières et les scènes du Brocken. On voit que son observation a sondé profondément la vie, et pour cela une ville comme Paris lui offrait les meilleures occasions. »

Je dis alors que de tels dessins contribuaient énormément à une intelligence plus complète du poëme. « C’est certain, dit Goethe, car l’imagination plus parfaite d’un tel artiste nous force à nous représenter les situations comme il se les est représentées à lui-même. Et s’il me faut avouer que M. Delacroix a surpassé les tableaux que je m’étais faits de scènes écrites par moi-même, à plus forte raison les lecteurs trouveront-ils toutes ces compositions pleines de vie et allant bien au delà des images qu’ils se sont créées. »

Lundi, 11 décembre 1826.

J’ai trouvé Goethe dans une animation très-gaie. Il me dit avec vivacité : « Alexandre de Humboldt est venu ce matin ici quelques heures. Quel homme ! Je le connais depuis longtemps, et cependant il me met toujours dans un nouvel étonnement. On peut dire qu’en connaissances et en science vivante il n’a pas son égal, et avec cela une variété de savoir que jamais je n’ai rencontrée à ce degré !… Quelque idée que l’on agite, il est partout chez lui, et nous accable de trésors intellectuels. Je crois voir une fontaine avec une quantité de tuyaux ouverts, on n’a qu’à mettre sa cruche, on a de l’eau fraîche tant que l’on en désire. Il doit rester ici quelques jours et je sens déjà qu’il me semblera que j’aurai vécu des années. »