Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/378

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« — Non. Kant ne s’est jamais occupé de moi, quoique ma nature me fit suivre un chemin semblable au sien. J’ai écrit ma Métamorphose des Plantes avant de rien connaître de Kant, et cependant elle est tout à fait dans l’esprit de sa doctrine. La distinction du sujet qui perçoit et de l’objet aperçu, et cette vue que toute créature existe pour elle-même, et que l’arbre à liège n’a pas poussé pour que nous ayons de quoi boucher nos bouteilles, tout cela était commun à Kant et à moi, et je fus heureux de me rencontrer avec lui dans ces idées. Plus tard j’ai écrit la Théorie de l’Expérience, ouvrage qu’il faut considérer comme la critique du sujet et de l’objet et comme le moyen de les concilier. Schiller me détournait toujours de l’étude de la philosophie de Kant. Il disait d’habitude que Kant n’avait rien à me donner. Lui-même il l’étudiait au contraire avec zèle ; je l’ai étudié aussi, et ce n’est pas sans y avoir gagné. »

Mercredi, 18 avril 1827.

Avant le dîner, je suis allé avec Goethe faire un petit tour en voiture sur la route d’Erfurt. Nous y avons rencontré des voitures de transport de toute espèce, chargées de marchandises pour la foire de Leipzig, et aussi quelques troupes de chevaux à vendre, parmi lesquels se trouvaient de fort belles bêtes.

« Il faut que je rie de ces esthéticiens, dit Goethe, qui se tourmentent pour enfermer dans quelques mots abstraits l’idée de cette chose inexprimable que nous désignons sous cette expression : le beau. Le beau est un phénomène primitif qui ne se manifeste jamais lui-même, mais dont le reflet est visible dans mille créations diverses