Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/380

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sens beaucoup de branches et de rameaux ; mais ce qui manquera, ce seront des forces qui puissent l’arrêter et le retarder, aussi ce sera bientôt un arbre sans nœuds, sans ténacité, qui n’aura rien d’abrupte, et, vu de loin, il aura l’aspect débile du tilleul ; il n’aura pas la beauté, du moins la beauté du chêne. — S’il croît sur la pente d’une montagne, dans un terrain pauvre et pierreux, il aura cette fois trop de nœuds et de coudes, c’est la liberté du développement qui manquera ; il sera étiolé, sa crue s’arrêtera de bonne heure, et devant lui on ne dira jamais : « Là il vit une force qui sait nous en imposer. »

« — J’ai pu voir de très-beaux chênes, dis-je, il y a quelques années, lorsque de Gœttingue je fis quelques excursions dans la vallée du Weser. Je les ai trouvés vigoureux, surtout à Solling, dans les environs de Hœxter. »

« — Un terrain de sable ou sablonneux, dit Gœthe, dans lequel ils peuvent pousser en tous sens de vigoureuses racines, paraît leur être surtout favorable. Quant à l’exposition, il leur faut un endroit tel qu’ils puissent recevoir de tous les côtés lumière, soleil, pluie et vent. S’ils poussent commodément, abrités du vent et de l’orage, ils viennent mal, mais une lutte de cent années avec les éléments les rend si forts et si puissants que la présence d’un chêne, arrivé à sa pleine croissance, nous saisit d’admiration. »

« — Ne pourrait-on pas, demandai-je, de ces explications tirer une conséquence et dire : « Une créature est belle quand elle est arrivée au sommet de son développement naturel ? »

« — Parfaitement ; mais il faudrait dire d’abord ce que l’on entend par le sommet du développement naturel. »