Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/39

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direction un rayon de couleur différente. Suivant les personnes, suivant les situations, il changeait ; je ne peux donc que parler pour moi et dire très-modestement : Ceci est mon Goethe.

Et cette parole serait vraie, non-seulement dans le sens où je viens de la dire, mais encore dans un autre sens, car Goethe est ici tel que j’étais, moi, capable de le comprendre et de le reproduire. L’image qu’il a laissée en moi, voilà ce que l’on trouvera, et il est très-rare que dans son passage à travers un autre individu un caractère original ne perde pas quelque chose, et ne soit pas altéré par quelque mélange étranger. Les images physiques de Goethe que l’on doit à Rauch, à Dawe, à Stieler et à David, ont toutes un haut degré de vérité, et cependant toutes plus ou moins portent l’empreinte particulière de l’individu qui les a créées. — Ce qui est vrai pour les traits physiques le sera bien plus encore pour les traits fuyants et insaisissables du caractère. — Quel que soit le résultat de mon travail, j’espère que tous ceux qui, par l’autorité de leur esprit ou par des relations personnelles avec Goethe, ont le droit de me juger en pareille matière, ne méconnaîtront pas les efforts que j’ai faits pour arriver à l’exactitude la plus parfaite possible.

Après ces explications sur la manière dont ce livre a été rédigé, je dois ajouter quelques mots sur son contenu.

Ce que l’on appelle la vérité, même sur un problème unique, n’est jamais quelque chose d’étroit, de petit, de limité ; bien au contraire, une vérité, tout en étant simple, a toujours une riche complexité ; et pour ce motif elle est difficile à exprimer, semblable en cela à une loi de la nature, qui prolonge au loin ses conséquences jusque dans la profondeur des êtres, et qui se manifeste par mille phénomènes variés. Nous ne serons donc jamais contents d’une première formule ; une seconde essayée ne nous satisfera pas encore ; nous tenterons la formule opposée ; cela ne sera pas encore la vérité, et nous n’arriverons, non pas au but, mais à une approximation, qu’en réunissant l’ensemble de nos divers aperçus. Ainsi, pour citer un exemple, quelques opinions de Goethe sur la poésie peuvent sembler exclusives et souvent