Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/442

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mettait à me parler de cette idée. — J’ai connu aussi un homme qui, sans dire un mot, pouvait, par la seule puissance de l’âme, rendre tout à coup silencieuse une société livrée à de gais entretiens. Il pouvait même causer à tous un insupportable malaise. Nous avons tous en nous comme des forces électriques et magnétiques ; comme l’aimant lui-même, suivant que nous venons en contact avec des corps semblables ou dissemblables, nous attirons ou nous repoussons. Il est possible, vraisemblable même que si, sans le savoir, une jeune fille se trouvait dans une pièce obscure avec un homme ayant le projet de l’assassiner, la présence inconnue de cet homme lui donnerait une inquiétude qui la ferait fuir de cette pièce pour aller chercher de la société. »

« — Je connais, dis-je, dans un opéra une scène où deux amants se trouvent après une longue séparation réunis sans le savoir dans une même pièce obscure ; à peine sont-ils ainsi ensemble, la force attractive commence à agir ; ils se pressentent tous deux l’un près de l’autre ; sans le vouloir ils se sentent tous deux entraînés l’un vers l’autre, et quelques instants suffisent pour que la jeune fille soit dans les bras du jeune homme. »

« — Entre amants, dit Goethe, cette puissance magnétique a une énergie particulière, et elle peut s’exercer même à distance. Quand j’étais jeune, bien souvent, dans des promenades solitaires, j’appelais ardemment une jeune fille aimée, et je pensais à elle jusqu’à ce qu’elle vînt réellement vers moi. « Je n’étais pas bien dans ma chambre, me disait-elle ; je ne pouvais rien faire, il a fallu que je vinsse. » — Je me rappelle un trait des commencements de mon séjour ici. — J’étais bien vite retombé amoureux. — Après un assez long voyage, je