Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/444

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dans cette direction que j’aperçois une forme de femme tout à fait ressemblante à celle que j’appelais. La rue n’était éclairée que par les lueurs qui sortaient çà et là des fenêtres, et, comme déjà des apparences de ressemblance m’avaient trompé dans cette soirée, je n’osais pas arrêter cette personne. Nous passâmes tout à côté l’un de l’autre, si près que nos bras se touchèrent ; je m’arrêtai, nous regardâmes autour de nous : « Est-ce vous ? » dit-elle, et je reconnus sa voix chérie. « Enfin ! » m’écriai-je, et j’étais heureux à pleurer. Nos mains se pressèrent. « Ah ! dis-je, mon espérance ne m’a pas trompé. — Je vous demandais, je vous cherchais, quelque chose me disait que certainement je vous trouverais ; quel bonheur. Dieu soit loué ! c’était vrai ! — Mais, méchant, dit-elle, pourquoi n’êtes-vous pas venu ? J’ai appris aujourd’hui par hasard que vous êtes de retour déjà depuis trois jours, et toute l’après-midi j’ai pleuré, croyant que vous m’aviez oubliée. Il y a une heure, je me suis sentie toute tourmentée ; j’avais un besoin de vous voir que je ne peux vous exprimer. J’avais chez moi quelques amies ; il m’a semblé que leur visite durait une éternité. Enfin elles sont parties ; j’ai malgré moi pris mon chapeau et mon mantelet, et je me suis vue poussée dehors, marchant dans la nuit sans savoir où j’allais. Votre pensée ne me quittait pas, et il me semblait que nous dussions nous rencontrer. » — Pendant que son cœur s’épanchait ainsi, nos mains restaient l’une dans l’autre, nous nous les serrions, et nous nous montrions mutuellement que l’absence n’avait pas refroidi notre amour. Je l’accompagnai chez elle. Elle monta l’escalier noir devant moi, me tenant par la main pour me conduire. J’étais dans un inexprimable bonheur, non-seulement de la re-