Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/68

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vous trouver, sur un petit espace, tant d’avantages ? Nous avons aussi une bibliothèque excellente, et un théâtre qui, dans ce qu’il y a de plus important, ne le cède à aucun théâtre d’aucune ville allemande. Je vous le répète donc : restez avec nous, et non pas seulement cet hiver ; choisissez Weimar pour votre séjour définitif. Les portes et les rues qui en partent conduisent à tous les bouts du monde. Vous voyagerez en été, et vous verrez petit à petit ce que vous avez le désir de voir. Moi, voilà cinquante ans que j’habite ici, et cependant où ne suis-je pas allé ? Mais toujours je suis revenu avec plaisir à Weimar. »

J’étais heureux de voir de nouveau Goethe près de moi, de l’entendre parler, et je sentais que je lui appartenais tout entier. « Si je te possède, si je peux, toi seul, te posséder, pensais-je, tout le reste me conviendra. » Je lui répétai que j’étais prêt à faire tout ce qu’il jugerait le meilleur dans ma situation.

Iéna, jeudi, 18 septembre 1823.

Hier matin, avant le départ de Goethe pour Weimar, j’ai été assez heureux pour passer une petite heure avec lui. Il m’a tenu une conversation du plus haut intérêt, qui pour moi est sans prix et qui étendra son influence bienfaisante sur toute ma vie. Tous les jeunes poètes allemands devraient la connaître, elle leur profiterait.

Il me demanda si j’avais cet été écrit des poésies. C’est ainsi que l’entretien commença. Je lui répondis que j’en avais bien écrit quelques-unes, mais que je manquais du calme nécessaire. « Défiez-vous, me dit-il, d’une grande œuvre. C’est là le défaut des meilleurs esprits, de ceux justement chez qui l’on trouve le plus de talent et les plus nobles efforts. Ce défaut a été le mien aussi, et je