Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/71

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vous présente, rendez-les dans leur fraîcheur, immédiatement, et il est certain que ce que vous ferez sera bon ; chaque jour vous apportera une joie. Vous les publierez d’abord dans les Almanachs, dans les Revues, mais ne vous conformez jamais à des idées étrangères, agissez toujours d’après votre inspiration propre.

« Le monde est si grand et si riche, la vie si variée, que jamais les sujets pour des poésies ne manqueront. Mais toutes les poésies doivent être des poésies de circonstance, c’est-à-dire que c’est la réalité qui doit en avoir donné l’occasion et fourni le motif. Un sujet particulier prend un caractère général et poétique, précisément parce qu’il est traité par un poëte. Toutes mes poésies sont des poésies de circonstance[1] ; c’est la vie réelle qui les a fait naître, c’est en elle qu’ils trouvent leur fonds et leur appui. Pour les poésies en l’air, je n’en fais aucun cas.

« Que l’on ne dise pas que l’intérêt poétique manque à la vie réelle, car justement on prouve que l’on est poëte lorsqu’on a l’esprit de découvrir un aspect intéressant dans un objet vulgaire. La réalité donne le motif, les points principaux, en un mot l’embryon ; mais c’est l’affaire du poëte de faire sortir de là un ensemble plein de vie et de beauté. Vous connaissez Fürnstein, que l’on appelle le poète de nature. Il a fait un poème sur la culture du houblon ; et il n’y a rien de plus joli. Je lui ai conseillé[2] de faire des chansons d’ouvrier, et surtout des chansons de tisserand, et je suis persuadé qu’il réussira,

  1. On ne se trompera pas sur le sens spécial que l’on doit donner ici à cette expression, détournée un peu de son sens habituel. On trouve dans Goethe lui-même une note faisant remarquer que Poésie de circonstance n’est pas tout à fait Gelegenheit’s Gedicht.
  2. Dans Art et Antiquité.