Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/77

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le plus grand plaisir et que ce plaisir, je le devais à ce que je me laissais aller tout simplement à l’impression faite sur moi par la pièce, sans réfléchir à ce que j’éprouvais. Goethe avait loué cette manière d’agir, et l’avait trouvée tout à fait appropriée à mon état d’esprit actuel. Je le vis s’approcher de moi avec madame de Goethe. « Voici ma belle-fille, me dit-il, vous connaissez-vous déjà ? » Nous lui apprîmes que nous venions à l’instant même de faire connaissance. « C’est aussi comme toi, Ottilie, un ami du théâtre, » ajouta-t-il, et nous nous félicitâmes mutuellement de notre penchant commun. « Ma fille, dit-il, ne manque pas une soirée. » « Cela va bien, répondis-je, tant que l’on donne de bonnes pièces, amusantes, mais il y a aussi de l’ennui à supporter, quand les mauvaises arrivent. » « Non, répliqua Goethe, il n’y a rien de meilleur que d’être obligé de voir et d’entendre aussi le mauvais ; on prend ainsi contre le mauvais une bonne haine, et on sent mieux ensuite ce qui est bon. Il n’en est pas de même avec un livre ; s’il déplaît, on le jette de ses mains ; au théâtre, c’est mieux, il faut tout endurer. » Je trouvai qu’il avait raison, et je pensai que tout était pour le vieillard une occasion de dire quelque chose de juste.

Nous nous séparâmes alors, je me mêlai aux autres personnes, qui dans chaque salon causaient bruyamment et gaiement. Goethe s’était rapproché des dames pendant que j’écoutais les récits de Riemer et de Meyer sur l’Italie. Le conseiller de gouvernement Schmidt, bientôt après, se mit au piano, et joua des morceaux de Beethoven, qui parurent être écoutés avec un profond intérêt. Une dame de beaucoup d’esprit raconta des traits du caractère de Beethoven. Cependant dix heures avaient sonné, la