Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t1, trad. Délerot.djvu/95

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* Jeudi, 13 novembre 1823.

Il y a quelques jours, je descendais la route d’Erfurt par un beau temps, quand un homme âgé se joignit à moi, il avait l’apparence d’un bourgeois dans l’aisance. Après quelques mots, l’entretien tomba sur Goethe. Je lui demandai s’il le connaissait personnellement. « Si je le connais ! répondit-il avec satisfaction, j’ai été son valet de chambre pendant vingt ans ; » et il se répandit en éloges sur son ancien maître. Je le priai de me parler de la jeunesse de Goethe, ce qu’il fit volontiers : « Il pouvait avoir vingt-sept ans, me dit-il, quand j’étais chez lui ; il était trés maigre, agile et délicat, je l’aurais facilement porté. » Je lui demandai si Goethe, dans les premiers temps de son séjour, avait été très-gai ? « Oui, certes, répondit-il, il était rieur avec les rieurs, mais cependant sans excès ; quand on dépassait les limites, il reprenait son sérieux. Toujours il s’est occupé de travaux, de recherches sur l’art et sur les sciences. Le duc venait souvent le voir le soir, et ils restaient à causer sciences jusqu’à une heure avancée de la nuit ; et souvent le temps me durait et je me demandais si le duc ne partirait pas. L’étude de la nature était dès lors son occupation. Un jour, il me sonna au milieu de la nuit ; j’entre, il avait roulé son lit de fer près de la fenêtre, et, de son lit, couché, il contemplait le ciel. « N’as-tu rien vu au ciel ? me demanda-t-il. — Non. — Eh bien, cours au poste, et demande aux soldats s’ils n’ont rien vu. » Je courus, personne n’avait rien vu, ce que je rapportai à mon maître, que je retrouvai dans la même position, toujours couché, toujours regardant le ciel. « Écoute, me dit-il, nous sommes dans un grand moment ; nous avons