Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/102

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ment et les gains littéraires considérables que je fais depuis plus de cinquante ans. De plus j’ai vu dépenser par des princes un million et demi pour des entreprises qui m’intéressaient de près, et dont je suivais les progrès, la réussite ou les désastres. — Ce n’est pas assez d’avoir du talent, il faut pour devenir instruit autre chose encore, il faut vivre dans de grandes relations, avoir l’occasion de voir dans les cartes des grands joueurs du temps, et courir, en jouant soi-même, les risques du gain et de la perte. — Sans mes études d’histoire naturelle, cependant, jamais je n’aurais appris à connaître les hommes tels qu’ils sont. Partout ailleurs on ne peut pas voir et penser aussi nettement ; on n’aperçoit pas aussi bien les erreurs des sens et de l’intelligence, les faiblesses et les énergies du caractère ; tout est plus ou moins élastique et incertain, et se laisse façonner plus ou moins ; mais la nature n’entend pas ces plaisanteries ; elle est toujours vraie, toujours sérieuse, toujours sévère ; elle a toujours raison, et les fautes et les erreurs sont ici toujours de l’homme. Elle méprise l’impuissant ; elle ne se donne et ne révèle ses secrets qu’au puissant, au sincère, au pur. — La pénétration ne suffit pas ; il faut être capable d’élever sa raison sur les hauteurs suprêmes pour être digne de toucher à la Divinité, qui se manifeste dans les phénomènes primitifs physiques et moraux, se cachant derrière eux et les produisant.

La Divinité est agissante dans ce qui vit, mais non dans ce qui est mort ; elle est dans tout ce qui naît, tout ce qui se transforme, mais non dans ce qui est né déjà et reste maintenant immobile. Voilà pourquoi la raison pure, qui tend vers le divin, s’occupe de tout ce qui naît, de tout ce qui vit ; l’entendement, au contraire, se porte sur