Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/123

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Lundi, 6 avril 1829.

Goethe m’a donné à lire pendant le dîner une lettre d’Egon Ebert. Nous parlâmes avec éloge de ce poëte et de la Bohême, son pays.

« — La Bohême, dit Goethe, est un pays original, où je suis toujours allé avec plaisir. Les littérateurs ont encore dans leurs idées quelque chose de pur qui commence déjà à devenir rare dans le nord de l’Allemagne, où tout vaurien écrit sans avoir le moindre fonds de moralité, et sans vue élevée. »

Goethe parla ensuite du dernier poëme épique d’Egon Ebert[1], de l’ancienne domination des femmes en Bohême, et de l’origine de la fable des Amazones. Ceci amena la conversation sur l’épopée d’un autre poëte, qui s’est donné beaucoup de mal pour voir juger favorablement son œuvre dans les feuilles publiques. — « Des jugements en ce sens ont bien paru çà et là. Mais est venu le Journal littéraire de Halle, qui a dit nettement ce qu’il fallait penser du poëme, et toutes les phrases élogieuses des autres journaux ont été anéanties. Celui qui n’a pas une volonté droite est aujourd’hui vite découvert, le temps n’est plus où l’on peut se moquer du public et l’induire en erreur. »

« — Je m’étonne, dis-je, que les hommes, pour avoir un nom, se donnent tant de mal, et aillent jusqu’à employer des moyens frauduleux. »

« — Cher enfant, dit Goethe, un nom, ce n’est pas peu de chose. — Pour avoir un grand nom. Napoléon a bien mis en pièces presque la moitié du monde ! »

  1. Wlasta, poëme héroïque sur l’histoire de Bohême. Prague, 1829.