Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/140

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partout règne l’unité la plus parfaite, et il n’y a pas trace d’un élément étranger.

« — Vous voyez là, me dit Goethe, une créature parfaite, qui pensait et sentait avec beauté, et dans l’âme de laquelle reposait un monde que l’on ne rencontrerait pas facilement ailleurs. — Ces tableaux ont la plus grande vérité, sans ombre de réalité. Claude Lorrain connaissait par cœur le monde réel jusque dans le plus petit détail, et il s’en servait comme d’un moyen pour exprimer le monde que renfermait sa belle âme. C’est là le véritable idéalisme, il sait se servir de moyens réels de telle façon que le vrai, en apparaissant dans l’œuvre, donne l’illusion d’une réalité.

« — Cette remarque excellente, dis-je, est aussi juste dans la poésie que dans les beaux-arts. »

« — Oui, dit Goethe. Mais vous vous donnerez le plaisir de voir les autres tableaux de l’excellent Claude pour votre dessert ; ils sont vraiment trop bons pour que l’on puisse en voir beaucoup de suite. »

« — C’est mon avis aussi, dis-je, car j’hésite et je sens quelque peine, quand je tourne la feuille, tout à fait comme lorsqu’on lit un beau livre riche en passages remarquables ; nous voudrions nous arrêter, et ce n’est que malgré nous que nous marchons en avant. »

« — J’ai répondu au roi de Bavière, me dit Goethe après une pause ; vous verrez ma lettre. » — « Voilà, continua-t-il, dans ce journal, une poésie adressée au roi, que le chancelier m’a lue hier et qu’il faut que vous lisiez aussi. — Goethe me donna la feuille et je lus tout bas. — « Eh bien, qu’en dites-vous ? » me demanda-t-il.

— « Ce sont là les sentiments d’un amateur ayant plus de bonne volonté que de talent ; il a reçu des grands