Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/155

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d’une fois dans le jour. » — « Le chemin par le pont, dis-je, paraît un peu détourné ; il me semble qu’il serait plus court de passer le Tibre et d’aller à travers champ ». » — « Non, ce n’est pas plus court, dit Meyer, mais nous le croyions aussi et souvent nous nous fîmes passer. Je me rappelle une traversée de ce genre que nous avons faite en revenant du Vatican, par une belle nuit au clair de lune ; en fait de connaissances, il y avait avec nous Bury, Hirt et Lips, et entre nous s’était élevée la dispute habituelle : quel est le plus grand, Raphaël ou Michel-Ange ? — Nous montâmes dans le bateau. — Quand nous atteignîmes l’autre rive, la dispute était dans tout son feu, et un plaisant de la bande, Bury, je crois, proposa de ne pas quitter la rivière avant d’avoir vidé entièrement le différend et mis d’accord les deux partis. La proposition fut acceptée ; le marinier dut abandonner la rive et revenir sur ses pas. Mais la dispute restait aussi vive, et quand nous fûmes de l’autre côté, il fallut retourner encore, car le différend n’était pas vidé. Nous revînmes ainsi pendant des heures d’une rive à l’autre, et cela convenait surtout au marinier, qui voyait ses baïoques s’augmenter à chaque passage. Il avait avec lui pour l’aider un garçon de douze ans qui ne pouvait rien comprendre à ce que nous faisions : « Père, disait-il, pourquoi donc ces messieurs ne veulent-ils pas aborder, et nous font-ils toujours revenir quand nous touchons ? » — « Je ne sais pas, mon fils, je crois bien qu’ils sont fous. » — Enfin, pour ne pas passer toute la nuit à cette double promenade, nous nous mîmes d’accord par nécessité, et abordâmes. » Cette folie d’artistes nous fit rire ; Meyer, qui était d’humeur très-gaie, continua à nous parler de Rome ; Goethe et moi avions plaisir à l’écouter ; il continua :