Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/181

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« Des personnes, dis-je, qui me paraissent ne le connaître que superficiellement, me l’ont dépeint comme un peu pédant. »

« Il reste à savoir, répliqua Goethe, quelle espèce de pédantisme on lui reproche. Tous les hommes qui dans leur manière de vivre ont une certaine régularité et des principes arrêtés, qui ont beaucoup réfléchi, et ne se font pas un jeu des événements de la vie, peuvent très-bien paraître des pédants à un observateur superficiel. Guizot est un homme calme, ferme, à vue perçante, et qui est inappréciable, si on songe à la mobilité française ; c’est un homme comme il leur en faut un.

Villemain est peut-être plus brillant comme orateur : il possède à fond l’art du développement ingénieux, il n’est jamais embarrassé pour trouver des expressions frappantes qui enchaînent l’attention de ses auditeurs et leur arrachent de vifs applaudissements ; mais il est bien plus superficiel que Guizot, et bien moins pratique. Quant à ce qui regarde Cousin, il ne peut nous donner beaucoup à nous autres Allemands, car la philosophie qu’il apporte à ses compatriotes comme une nouveauté nous est connue depuis bien des années ; mais pour les Français il est d’une importance considérable. Il les lancera dans une voie tout à fait nouvelle[1].

  1. « Je ne peux nier que je dois surtout aux Français mes distractions. Je continue à suivre paisiblement les leçons de Guizot, Villemain et Cousin. Le Globe, la Revue française et depuis trois semaines le Temps me conduisent dans une sphère que l’on chercherait inutilement en Allemagne. Je dois leur accorder les plus grands éloges pour toute la partie qui touche à la morale pratique, mais leur manière de contempler la nature ne me plaît pas autant. Je respecte tout à fait leur méthode, fondée sur l’expérience, mais je trouve que dans tout ce qui touche à la réflexion pure, ils ne parviennent pas à se débarrasser de certaines conceptions mécaniques et atomistiques. Quand ils découvrent une idée, ils veulent