Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/224

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rent en un moment, et mes fidèles travaillèrent si bien qu’en peu de jours tous les livres étaient déjà placés sur leurs rayons le long des murs. MM. les médecins, qui bientôt après pénètrent in corpore dans la salle, par la porte habituelle, furent tout ébahis de voir un changement aussi inattendu. Ils ne surent que dire et se retirèrent en silence ; mais ils me gardèrent secrètement rancune. Cependant, quand je les vois isolément, et surtout quand j’ai l’un ou l’autre à ma table, ils sont tout à fait charmants et se montrent mes chers amis. Lorsque je racontai l’aventure au grand-duc, qui m’avait donné sa pleine autorisation pour agir ainsi, il s’en amusa comme un roi, et nous en avons plus tard ri ensemble bien souvent. »

Goethe était très-gai, ces souvenirs le rendaient heureux. « Oui, mon ami, continua-t-il, on a souffert pour faire le bien. Plus tard, quand je voulus faire démolir et reculer une partie nuisible du vieux mur de la ville, mur tout à fait inutile, et qui augmentait l’humidité de la bibliothèque, je rencontrai les mêmes difficultés. Mes prières, mes bonnes raisons, mes représentations raisonnables ne trouvèrent que des sourds, et je dus encore agir en conquérant. Quand Messieurs de la municipalité virent mes maçons à l’œuvre à leur vieux mur, ils envoyèrent une députation au grand-duc, qui était alors à Dornbourg ; ils le priaient humblement d’arrêter par un mot de sa toute-puissance la destruction du vénérable mur de leur ville, que je renversais. Mais le grand-duc, qui m’avait aussi, dans cette circonstance, donné secrètement son autorisation, répondit très-sagement : « Je ne me mêle pas des affaires de Goethe. Il sait ce qu’il a à faire et comment il doit le faire. Allez donc le trouver et dites-lui vous-même