Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/24

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forcément seront faciles à reconnaître à des signes fâcheux. — Mon avis est qu’il ne faut rien forcer, et qu’il faut passer les heures et les jours stériles à niaiser ou à dormir, plutôt que de vouloir faire quelque chose qui plus tard nous chagrinera. »

« Ce que vous dites là, répliquai-je, je l’ai souvent vérifié par moi-même, et c’est là à coup sûr une vérité incontestable et qu’il faut respecter. Mais cependant il me semble que, sans se forcer précisément, on peut par des moyens naturels se mettre mieux en veine. Bien souvent dans ma vie, dans certaines circonstances embarrassées, je ne pouvais venir à bout de prendre une décision. Si je buvais alors quelques verres de vin, tout à coup je voyais clairement ce que j’avais à faire, et j’étais décidé sur-le-champ. Prendre une décision, c’est aussi en une certaine façon produire quelque chose, et si quelques verres de vin ont cette vertu, un pareil moyen n’est pas tout à fait à mépriser. »

« — Je ne veux pas contester votre opinion, répondit Goethe, mais ce que j’ai dit a aussi sa justesse, ce qui nous montre que la vérité peut se comparer à un diamant qui lance ses feux non pas dans une seule direction, mais bien dans plusieurs. — Vous qui connaissez si bien mon Divan, vous savez que j’ai dit moi-même : Quand on a bu, on connaît la vérité ! et par conséquent je suis complètement de votre avis[1]. Il y a certainement dans le vin des forces fécondantes très-remarquables, mais tout dé-

  1. Dans ses Xénies et dans ses Pensées, Goethe a dit encore : « Le vin donne de la vivacité à l’esprit bien doué. Sans feu, l’encens ne répand pas d’odeur ; il faut donc l’enflammer avec des charbons ardents, si tu veux sentir ses parfums. » — « Tout vase qui renferme un bon vin semble bon au buveur, mais, pour moi, je ne bois avec plaisir que si je bois dans une coupe grecque artistement travaillée. »