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chez Goethe. J’allai d’abord voir Madame de Goethe. Je la trouvai en grand habit de deuil, mais calme et résignée. Nous causâmes beaucoup. J’entrai ensuite chez Goethe. Il était debout, sans faiblesse apparente ; il me pressa dans ses bras. Je lui trouvai une sérénité et un calme parfaits. Nous parlâmes de mille choses ; de son fils, il ne fut pas dit un mot[1].

Jeudi, 25 novembre 1830.

Dîné avec Goethe. Je l’ai trouvé occupé à regarder des gravures et des dessins originaux qu’un marchand lui propose. Nous avons causé de mon voyage, et il doit m’aider à mettre au net les notes que j’ai réunies sur les conversations que nous avons eues ensemble. Il consent à les revoir, mais ne veut pas que je les publie maintenant.

Il m’a paru cependant aujourd’hui plus silencieux que d’habitude ; il semblait perdu en lui-même, ce qui n’est pas bon signe.

Mardi, 30 novembre 1830.

Le vendredi 26, Goethe nous a donné une grande inquiétude, il a été pris dans la nuit d’un violent coup de

  1. C’est le chancelier de Müller qui avait dû annoncer cette mort ; Goethe était resté presque impassible ; ses yeux s’étaient seulement remplis de larmes, et il avait dit : Non ignoravi me mortalem genuisse !… Le 21 novembre il écrivait à Zelter : « Il semble que la destinée soit convaincue que notre corps est non un tissu de nerfs, de veines, d’artères et d’autres organes aussi faibles, mais bien un tissu de fils métalliques !… La grande idée du devoir, voilà uniquement ce qui peut ici nous soutenir. Mon seul soin, c’est de maintenir l’équilibre physique ; le reste ira de soi-même. Le corps doit, l’esprit veut ; celui qui a de toute nécessité ordonné à la volonté sa route n’a plus à s’inquiéter beaucoup. » Et le 23 février 1831, revenant sur les détails de la mort de son fils, il finissait brusquement sa lettre par ce cri, d’une si admirable beauté ; « Allons !… par-dessus les tombeaux, en avant ! »