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montrer le premier, parce que la musique est quelque chose de tout à fait inné, d’intime, qui n’a pas besoin de secours extérieur et d’expérience puisée dans la vie. Mais un phénomène comme Mozart reste toujours une exception inexplicable. Comment la Divinité trouverait-elle l’occasion de faire des miracles, si elle ne s’essayait pas parfois dans ces êtres extraordinaires qui nous étonnent et que nous ne pouvons comprendre ? »

Mardi, 15 février 1831.

Dîné avec Goethe. Je lui parle du théâtre ; il loue la pièce donnée hier, Henri III, d’Alexandre Dumas, comme tout à fait excellente[1]. Il trouve cependant naturel qu’elle ne soit pas absolument au goût du public. « Sous ma direction, je n’aurais pas essayé de la donner, car je me rappelle encore très-bien quelle peine j’ai eue à introduire, et par contrebande, auprès du public le Prince Constant, qui cependant parle plus au cœur, est bien plus poétique, et nous intéresse plus que Henri III. »

  1. Elle est surtout faite pour les yeux, et l’on a vu souvent combien Goethe était las des analyses infinies de sentiments, mises à la mode par les romantiques d’outre-Rhin. Ce mot romantique désigne en France et en Allemagne deux écoles fort différentes ; il faut, donc bien prendre garde d’appliquer au romantisme français les blâmes fréquents que Goethe adresse au romantisme allemand. Les romantiques chez nous poussaient l’énergie jusqu’à la brutalité ; les romantiques allemands poussaient la douceur jusqu’à la débilité. Si les deux écoles avaient la même adoration pour le moyen âge, elles lui rendaient un culte tout différent. Je ne pourrais sans longs développements indiquer d’une façon précise ces analogies et ces différences ; je veux seulement prévenir toute confusion qui serait fâcheuse pour nos écrivains. Je rappelle ce que Goethe a fait remarquer plus haut : C’est au grand mouvement allemand de 1775 que ressemble notre mouvement de 1830. Notre époque rénovatrice de Sturm und Drang a été en même temps retardée et rendue plus féconde par les événements politiques de la Révolution.