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Jeudi, 31 mars 1831.

Dîné chez le prince avec Soret et Meyer. Nous causons de littérature, et Meyer nous raconte sa première entrevue avec Schiller. « J’allais, dit-il, me promener avec Goethe dans le jardin d’Iéna, que l’on appelle le Paradis. Schiller nous rencontra, je lui parlai alors pour la première fois. Il n’avait pas encore terminé son Don Carlos et venait d’arriver de Souabe ; il paraissait être très-malade et beaucoup souffrir des nerfs. Son visage rappelait celui du Crucifié. Goethe croyait qu’il ne vivrait pas quinze jours ; mais, comme il jouit alors de plus de bien-être, il se rétablit et écrivit toutes ses plus belles œuvres. »

Vendredi, 1er  avril 1831.

Dîné avec Goethe. Il me montre une aquarelle fort jolie de M. de Reutern, et dit : « La peinture à l’aquarelle se montre là très-avancée. Les hommes simples iront dire que M. de Reutern ne doit rien à personne, et qu’il possède tout de lui-même. Comme si de lui-même l’homme avait autre chose que la sottise et la maladresse ! Si cet artiste n’a eu aucun professeur que l’on puisse nommer, n’a-t-il pas vécu avec les grands maîtres ? N’a-t-il pas reçu des leçons et d’eux et de leurs grands prédécesseurs, et de la nature partout présente. La nature lui a donné un beau talent ; la nature et l’art l’ont formé. Il a des qualités remarquables, et à quelques points de vue uniques, mais on ne peut pas dire qu’il ait tout de lui-même. Cela peut se dire d’un artiste tout à fait fou et mauvais, mais non d’un bon. »

Goethe me montra ensuite du même artiste une