Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/310

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hommes hypocondriaques, quand elle n’est pas balancée par une grande activité. »

Ces jours-ci, on m’a apporté un nid de petites fauvettes, avec leur mère que l’on avait prise au gluau. Elle a continué dans la chambre à nourrir sa famille, et rendue à la liberté, elle est revenue d’elle-même avec ses petits. J’étais très-touché de cet amour maternel qui brave le danger et la prison, et j’exprimai mon étonnement à Goethe : « Homme de peu de raison ! me répondit-il avec un sourire significatif, si vous croyiez à Dieu, vous ne seriez pas étonné. « C’est lui qui donne au monde son mouvement intime ; la nature est en lui, et il est dans la nature ; et jamais ce qui vit, ce qui se meut, ce qui est en lui n’est privé de sa force et de son esprit. » « Si Dieu ne donnait pas à l’oiseau cet instinct pour ses petits, si un instinct pareil n’était pas répandu dans toute la nature vivante, le monde ne se soutiendrait pas ; mais partout est répandue la force divine, partout agit l’amour éternel ! »

Il y a quelque temps, Goethe a exprimé une idée du même genre ; un jeune sculpteur lui avait envoyé le modèle de la Vache de Myron, avec un veau qui la tette. — « Voilà, dit-il, un sujet de la plus grande élévation ; nous avons là, devant les yeux, sous une belle image, le principe vivifiant répandu dans la nature entière, et qui soutient le monde ; cette œuvre et celles du même genre sont pour moi les vrais symboles de l’omniprésence de Dieu[1]. »

  1. Dans un article écrit en 1812 sur la Vache de Myron, Goethe disait : « Les anciens ont voulu, dans un grand nombre de leurs œuvres, nous enseigner que la nature a une valeur infinie à tous les degrés de son développement… Les Grecs cherchaient à déifier l’homme et non à humaniser la divinité : leur doctrine est le théomorphisme, et non l’anthropo-