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DON ALONZO OU L’ESPAGNE[1].
Histoire contemporaine par V-A. de Salvandy. (Paris, 1824.)

Un curieux roman historique. Autrefois, cette espèce d’écrit n’avait pas une excellente réputation, parce que, d’ordinaire, il changeait l’histoire en fable. Les tableaux du passé que nous avions conquis par un travail pénible s’y trouvaient brouillés par les jeux d’une imagination mal conduite. De nos jours, ce genre a pris une autre physionomie ; on ne cherche plus à compléter l’histoire par des fictions ; on veut, par la force vivante des tableaux et des peintures, l’introduire pleinement dans la vie. On met en scène des personnages vrais, on trace leurs portraits avec une fidélité absolue à l’histoire, on les fait agir conformément à leur caractère ; puis, on entoure ces figures principales de figures accessoires, dans lesquelles on symbolise les différents traits caractéristiques des mœurs de l’époque. On conduit les événements de façon qu’un grand nombre de faits réels et vivants entrent dans un ensemble vraisemblable et harmonieux. Walter Scott est un maître en ce genre ; il avait un avantage ; son art si habile s’était consacré à peindre des sites remarquables et peu connus, des événements à moitié oubliés, des mœurs, des visages, des habitudes étranges. Ainsi s’explique le succès qui a accueilli les peintures du petit monde à moitié vrai qu’il nous a révélé. Le Français qui s’avance aujourd’hui est plus hardi : il s’attaque à l’âge contemporain, à l’âge actuel. Les personnages historiques qu’il peint sont contrôlés par l’histoire contemporaine, les personnages imaginaires ont aussi leur contre-épreuve immédiate ; tous nous sentons et nous savons comment nos contemporains pensent et agissent. Il serait difficile d’analyser et de suivre, dans tout son développement, un aussi grand ouvrage ; tôt ou tard, tout le monde le lira, soit dans le texte original, soit dans une traduction. La richesse du contenu de cette œu-

  1. Quoique cet ouvrage soit un peu oublié, j’ai donné l’analyse tout entière parce que rien ne peut mieux nous montrer avec quel soin minutieux et avec quelle méthode Goethe se rendait compte de tout ce qu’il lisait, et avec quelle patience, à un âge si avancé, il étudiait les ouvrages même les plus étrangers à ses travaux habituels.