Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/412

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mérite une brûlante passion se rejettent dans le passé ; ils vont chercher dans l’histoire, dans la vie des hommes célèbres, dans les romans un objet auquel puissent s’adresser leurs sentiments exaltés ; quand ils l’ont trouvé, ne pouvant plus voir le héros lui-même, ils partent comme en pèlerinage sacré pour visiter les lieux où il a vécu, agi, et s’ils le pouvaient, ils transformeraient les murs les plus humbles en un temple d’adoration. C’est un jeune homme de ce genre que nous voyons ici. Il s’est consacré à la mémoire de Charlotte Corday ; il cherche la demeure de Marat, il la découvre enfin ; suivant les pas de l’héroïne, il monte derrière elle les marches du sombre escalier, il entre dans l’étroit vestibule, où elle a attendu, et n’a pas de repos jusqu’à ce qu’enfin on lui ouvre le cabinet où était la baignoire et où fut donné le coup mortel. Peu de changements, lui assure-t-on, ont été faits ; il se sent entouré des spectres de tous les tyrans amis de Marat, et, quand il descend l’étroit escalier, ils se pressent autour de lui et rétrécissent encore le passage devant ses pas.

Pour réveiller ces événements devant notre imagination et notre âme, rien ne vaut mieux que les descriptions précises, et souvent c’est un détail trivial qui sait le mieux les ressusciter avec toute leur horreur.

Le Bibliomane (par Charles Nodier). — Tableau plus enjoué, et qui, cependant, finit tristement. Un amateur d’éditions rares ou uniques, devenu à moitié fou, le devient tout à fait après avoir un jour manqué une vente, et la mort seule le guérit. Il est certain que, lorsque ces passions n’ont pas pour racine une haute pensée, elles dégénèrent toujours en une espèce de démence. On faisait observer à un de nos vieux et honorables amis, qui notait un certain livre dans un Catalogue, qu’il possédait déjà trois exemplaires de cet ouvrage : « On ne saurait avoir trop de fois un bon livre, » répondit-il, et il acheta son quatrième exemplaire. La passion des gravures, des eaux-fortes originales, ressemble assez à la passion des livres ; cependant ici on peut dire qu’entre chaque épreuve il y a souvent une grande différence.

Les Bibliothèques publiques (par Paul Lacroix). — Les détails qui nous sont donnés ont un grand intérêt. On prête, à Paris, les livres en quantité, et on n’exige pas qu’ils soient vite rendus. Il est à souhaiter que tous les bibliothécaires puissent, la main sur la conscience, affirmer que leur trésor littéraire n’est pas administré comme ceux dont on nous parle ici.