Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/426

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sage ami. Gonzague le suit dans sa démarche dangereuse, devenue bientôt mortelle, et c’est à lui enfin que sont confiées la fille et la mère de Carmagnola. Deux condottieri qui marchent sous les ordres du comte, Orsini et Talentino, expriment laconiquement leur puissante énergie ; quelques mots suffisent. — L’armée ennemie nous montre des personnages tout différents : Malatesti est un général en chef médiocre ; il commence par hésiter, puis il cède à un violent parti et écoute Sforza et Fortebraccio, qui présentent l’impatience des soldats comme une raison pour combattre. Pergola, vieux soldat expérimenté, et Torello, homme d’un âge moyen, mais d’un esprit pénétrant, voient leur avis méprisé ; la discussion monte jusqu’à l’outrage, et une héroïque réconciliation précède le combat. Dans les prisonniers nous ne trouvons aucun chef ; cependant la découverte du fils de Pergola donne au comte l’occasion d’exprimer noblement l’estime profonde qu’il ressent pour un vieux et héroïque guerrier.

Entrons maintenant dans le sénat de Venise ; le doge, qui préside, représente le principe suprême d’autorité ; pur et sans partage, il est dans la balance politique ; comme l’aiguille indicatrice, s’observant en même temps qu’il observe les partis opposés ; un demi-dieu, circonspect sans inquiétude, prudent sans défiance ; quand il faut agir, il penche vers la bienveillance. Marino représente dans sa sévérité le principe égoïste dont l’absence est impossible. Il apparaît ici sans tache, car il agit, non dans un intérêt personnel, mais dans un intérêt public d’une immense gravité. Vigilant, jaloux de la puissance, il voit la perfection dans l’état présent des choses. Carmagnola n’est absolument pour lui qu’un instrument au service de la république ; dés qu’il paraît inutile et dangereux, il doit être brisé. Marco représente le noble principe d’humanité ; il devine, il sent, il reconnaît tout ce qui est bon et moral ; il vénère la vraie grandeur, l’énergie active ; les défauts associés à ces qualités l’attristent ; il espère et attend leur disparition ; il s’est attaché à un homme considérable, et par cela même, sans s’en douter, il a manqué à ses devoirs. Les Commissaires sont deux hommes remarquables, dignes de leur mission ; ils savent quelle est leur place, leur emploi, leur devoir, et qui les envoie. La conduite de Carmagnola leur montre leur impuissance passagère ; leurs deux caractères sont alors parfaitement nuancés ; l’un est plus vif, et plus disposé à lutter ; l’audace du comte lui donne une irritation qu’il peut à