Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/462

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Parlons d’abord, comme il est juste, des aventures guerrières. Marco, leur plus grand héros, peut être considéré comme un pendant très-sauvage et très-barbare de l’Hercule grec, et du Rustan persan ; c’est le premier et le plus invincible des héros serbes, sa force est immense, ses hauts faits merveilleux. Il monte un cheval qui a cent cinquante ans, lui-même a trois cents ans ; il meurt enfin, sans savoir pourquoi, encore dans la pleine possession de ses forces. Cette époque a donc une physionomie toute païenne. — Dans les poésies de l’époque moyenne, le christianisme, ou plutôt l’Église apparaît. Les bonnes œuvres sont alors la seule consolation de celui qui ne peut se pardonner de grands méfaits. La nation entière est soumise a de poétiques superstitions ; les anges se montrent très-souvent ; les revenants jouent un grand rôle ; les héros les plus fiers tremblent devant les prophètes, ils obéissent aux pressentiments bizarres, aux prédictions faites par des oiseaux. — Cependant, sur tout cet ensemble règne une espèce de divinité sans raison ; puissance irrésistible et fatale, nommée Wila ; elle habite les solitudes, les montagnes, les forêts ; elle fait entendre partout ses prédictions et ses ordres ; tantôt elle paraît sous la forme d’un hibou ou sous la figure d’une belle femme ; c’est une chasseresse excellente ; elle passe aussi pour diriger à son gré les nuages ; en un mot elle rappelle le Destin ; on ne doit pas la nommer, et elle a une influence plus souvent funeste que bienfaisante.

La bataille d’Amselfeld, en 1389, perdue complètement par trahison, et les combats de George Czerni sont consacrés par des monuments poétiques, qui se rapprochent des lamentations souliotes. Celles-ci sont en grec, mais elles montrent de la même façon une nation malheureuse qui n’a pas su se défendre contre un voisin puissant.

Les chants d’amour, considérés aussi dans leur ensemble, sont de la plus grande beauté ; ils montrent surtout le contentement absolu que deux amants trouvent à vivre uniquement l’un pour l’autre en oubliant tout ; ils sont riches de pensées, gais, délicats ; les amants déclarent leur amour avec une grâce originale ; ils savent montrer hardiesse et prudence pour triompher des obstacles qui s’opposent à leurs vœux ; quand il leur faut se séparer, leur douleur est adoucie par des espérances qui dépassent cette vie.

Ces poésies sont toujours brèves sans être laconiques ; un paysage, une émotion pittoresque, un pressentiment dû à quelque