Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/479

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mêmes idées ; l’œuvre de Shakspeare n’est ni une parodie ni un travestissement ; de même que l’aigle et la chouette sont la reproduction de deux objets également pris dans la nature à des hauteurs différentes, de même les deux œuvres poétiques sont une même image reproduite par deux âges d’un esprit différent.

Le poëme grec est le récit d’un grand événement, conçu dans un style élevé et sobre, qui écarte toute parure excessive ; les descriptions et les comparaisons conservent partout un grand caractère de simplicité ; la fable a pour base les hautes traditions de la mythologie primitive. — Le poëme anglais, heureuse transposition, est la métamorphose de l’épopée grecque en drame romantique. — N’oublions pas de remarquer que l’on reconnaît dans cette pièce, comme dans plusieurs autres, des traces de son origine immédiate ; il est incontestable qu’elle est sortie d’une traduction en prose dépouillée d’une partie de la poésie. Cependant la pièce de Shakspeare a la valeur d’un original, absolument comme si l’œuvre antique n’eût pas existé, car il fallait autant de pénétration et un talent aussi solide et aussi complet que celui du grand et vieil Homère, pour réussir à peindre d’une main aussi aisée et aussi habile des caractères et des personnages semblables, et pour donner sur la scène, à une race humaine venue plus tard, le tableau vivant d’une nouvelle humanité différente de la première.


PLATON ET ARISTOTE[1].

Platon semble agir comme un esprit descendu du ciel, à qui il a plu d’habiter quelque temps sur la terre. Il ne cherche guère à connaître ce monde ; il s’en est fait d’avance une idée, et ce qu’il désire surtout, c’est de communiquer aux hommes, qui en ont si grand besoin, les vérités qu’il a apportées et qu’il a du bonheur à leur donner. S’il pénètre au fond des choses, c’est bien plutôt pour les remplir de son âme que pour les analyser. Il aspire toujours et ardemment à s’élever, pour regagner le séjour d’où il

  1. Extrait de la Théorie des Couleurs (Partie historique). De nombreux passages d’un intérêt général mériteraient d’être détachés de cet ouvrage de science.