Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/508

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parti de tout pour tout. Dans l’anatomie comparée, prise dans son sens le plus large, et en tant qu’elle devait servir à fonder la morphologie, on s’occupait autant de travaux analytiques que de travaux synthétiques. Mais je remarquai bien vite qu’on avait marché toujours en avant sans méthode ; on avait comparé, comme le hasard l’avait voulu, un animal avec un autre, une classe avec une autre, certains animaux avec l’homme ; ces travaux avaient eu pour résultat une inextricable complication où l’esprit se perdait, car si les théories se trouvaient parfois confirmées, parfois aussi elles rencontraient des faits qui les renversaient entièrement. Je mis alors les livres de côté ; je me plaçai en face de la nature ; un squelette d’animal, avec ses détails infinis, était devant moi, sur ses quatre pieds ; je me mis à l’étudier, en commençant par le commencement, par la tête ; l’os intermaxillaire me frappait les yeux le premier de tous, je l’examinai dans les différentes classes animales. Mais cet examen en amena bien d’autres. La parenté du singe avec l’homme avait beaucoup tourmenté les naturalistes, et l’excellent Camper croyait avoir trouvé la différence entre les deux organisations en disant que l’homme n’avait pas à la mâchoire supérieure d’os intermaxillaire, tandis que cet os existait chez le singe. Je ne peux exprimer le sentiment de tristesse qui me saisit lorsque je me trouvai en opposition complète avec ce savant, à qui je devais tant, dont je cherchais à me rapprocher, dont je voulais me déclarer l’élève, dont j’espérais tout apprendre.

Si l’on veut se rendre compte de mes travaux à cette époque, on trouvera mon mémoire dans mon premier volume de Morphologie ; je me donnai aussi alors une peine extrême pour reproduire par le dessin les différentes formes de cet os ; ces images, qui étaient la partie la plus importante de mon travail, et qui sont restées longtemps inédites, ont été enfin accueillies dans les Mémoires de l’académie Léopoldine de Bonn (1re partie du Ve volume). Avant d’ouvrir ce volume, j’ai encore à rappeler un fait et à faire une remarque qui, sans avoir une grande valeur, peut être utile aux recherches de nos successeurs. — Ce n’est pas seulement le jeune homme ardent qui, dès qu’une pensée féconde se présente à lui, cherche à la communiquer et à faire partager sa conviction ; l’homme mûr, déjà riche de connaissances, a le même penchant. Aussi, c’est avec la plus grande simplicité, et sans me douter de ma faute que j’envoyais à Pierre Camper ma Dissertation, avec