Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/509

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tous mes dessins, finis ou esquissés. Je reçus de lui une réponse très-détaillée, très-bienveillante, où il me louait beaucoup des efforts que je consacrais à ces études ; il ne désapprouvait pas mes dessins, mais il me donnait de bons conseils sur la manière de les tracer avec plus d’exactitude ; il semblait un peu étonné de la peine que je m’étais donnée, me demandait si je voulais faire imprimer ce travail, m’avertissait des difficultés de la gravure, et me donnait le moyen d’en triompher. En un mot, il me montrait un intérêt paternel. Mais, avec tout cela, il ne laissait nullement voir qu’il eût remarqué l’idée qui m’animait : combattre sa théorie et non pas seulement publier une brochure. Je lui répondis en le remerciant modestement, et je reçus encore une longue lettre, toujours amicale, mais toujours du même genre, et étrangère à ma pensée ; aussi, je laissai tomber cette correspondance qui ne produisait rien, sans même en retirer, comme j’aurais dû le faire, ce fait d’expérience fort intéressant, c’est que l’on ne peut convaincre un maître d’une de ses erreurs, parce qu’il semble qu’une fois admise par lui, une erreur se légitime et devient inattaquable. J’ai malheureusement perdu ces lettres comme tant d’autres documents. Elles montreraient les qualités solides de cet homme remarquable et la confiance de ma jeunesse, si pleine de respect pour lui.

Cette première mésaventure fut suivie d’une autre. Un homme de mérite, Jean-Frédéric Blumenbach, qui s’était occupé avec succès des sciences naturelles, et qui commençait à étudier l’anatomie comparée, adopta, dans l’abrégé qu’il en publia, les vues de Camper et refusa à l’homme l’os intermaxillaire. Ma perplexité fut alors à son comble : je voyais un excellent livre d’enseignement, un professeur distingué, laisser de côté mes vues et mes opinions. Mais un homme doué d’un esprit aussi remarquable, et dont les recherches étaient constantes, ne pouvait longtemps rester attaché à une opinion préconçue ; nous nous liâmes intimement, et c’est lui bientôt qui me donna sur cette question, comme sur tant d’autres, des enseignements ; il m’apprit que chez les enfants hydrocéphales l’os intermaxillaire était séparé de la partie supérieure de la mâchoire, et que dans le bec-de-lièvre double on le trouve aussi pathologiquement séparé.

Je peux aujourd’hui demander un peu d’attention pour ces travaux qui alors furent repoussés et qui sont restés si longtemps dans le silence de l’oubli. Je prie le lecteur de vouloir bien exa-