Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/513

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noble créature n’avait besoin d’exercer aucune violence pour se nourrir ; un pâturage en plein air, défendu contre la trop grande humidité, lui suffit ; elle paraît n’avoir été organisée que pour errer et courir sans cesse ; sa pétulance exige un mouvement sans repos ; c’est là ce qui la charme surtout, et les hommes ont su pour leurs passions tirer un excellent parti de cette disposition naturelle. — L’examen du même organe dans les diverses races animales nous montre que les fonctions en sont d’autant plus parfaites que l’animal peut plus facilement le tourner en dehors (supination) et en dedans (pronation). Beaucoup d’animaux peuvent prendre cette position, mais, comme ils se servent nécessairement de leurs membres antérieurs pour marcher, ils sont rarement tournés en dehors ; le radius, lié organiquement au pouce, se trouve donc presque toujours tourné en dedans ; comme c’est sur lui que porte le centre de gravité, il grossit, et il occupe à lui seul presque toute la place. Parmi les mains et les avant-bras les plus agiles, on peut citer ceux de l’écureuil ; ils ne sont pas devenus épais et lourds, parce qu’il est fréquemment debout et sautille sans cesse. Rien n’est plus joli que de voir un écureuil ôter à une pomme de pin ses écailles ; quand il rejette la tige centrale, elle est entièrement nue ; on devrait tâcher d’observer si ces animaux, en saisissant les écailles pour manger les semences ne les détachent pas en suivant l’ordre spirale de leur insertion. C’est le lieu de faire remarquer que les deux dents de devant des rongeurs sont attachées à l’os intermaxillaire ; elles ne sont pas figurées sur mes planches, mais on les trouve sous des aspects variés dans D’Alton, il est bien curieux que, par une mystérieuse harmonie, le développement des dents de devant soit ici en rapport avec la souplesse de la main. Chez les autres animaux, les dents saisissent directement la nourriture ; chez ceux-ci, elle est portée adroitement à la bouche par les mains ; les dents n’ont donc plus qu’à ronger, et ce travail devient en quelque sorte technique. Ici nous sommes tentés de retourner le proverbe grec, et de dire : les animaux sont tyrannisés par leurs organes [1] ; en effet, ils sont poussés par ces organes à une certaine espèce d’activité qui ne cesse pas, même quand elle est inutile ; c’est ainsi que les rongeurs, quand ils n’ont plus faim, continuent à ronger, et ils détruisent ce qui les entoure, jusqu’à ce qu’enfin, avec le castor,

  1. Voir plus haut la dernière lettre à Humboldt, page 331.