Page:Eckermann - Conversations de Goethe, t2, trad. Délerot.djvu/57

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la faveur du public, et qu’il s’appliquait à ne tracer aucun trait qui ne fût excellent. La Jolie Fille de Perth, au contraire, est écrite d’une plume plus large ; l’auteur est déjà sûr de son public, et il prend ses aises. Quand on a lu Waverley, on conçoit bien pourquoi encore aujourd’hui Walter Scott s’intitule « auteur de Waverley. » — Car il a montré là ce qu’il était capable de faire, et il n’a jamais, plus tard, écrit rien qui fût supérieur ou même égal au premier roman qu’il a publié. »

Jeudi, 9 octobre 1828.

Il y a eu ce soir, en l’honneur de Tieck, dans l’appartement de Madame de Goethe, un thé très-agréable. On nous avait fait espérer que Tieck lirait quelque chose[1], et, en effet, la lecture eut lieu. On s’établit commodément en cercle autour de Tieck ; il lut Clavijo, — J’avais souvent lu cette pièce, et avec émotion, mais elle me parut ce soir-là entièrement nouvelle, et fit sur moi un effet extraordinaire. C’était mieux encore qu’au théâtre ; chaque caractère, chaque situation frappait ; c’était comme une représentation, mais dans laquelle chaque rôle aurait été admirablement interprété. Il serait difficile de dire si Tieck lisait mieux les scènes dans lesquelles se montrent l’énergie et la passion viriles, ou bien les scènes de raisonnement tranquille et lucide, ou bien les scènes passionnées d’amour. Cependant pour ces dernières il disposait de ressources toutes particulières. J’entends toujours le dialogue entre Marie et Clavijo ; je vois encore et je n’oublierai jamais les palpitations de sa poitrine oppressée, les arrêts, les tremblements de sa

  1. Les lectures de Tieck étaient célèbres et très-recherchées.